EPILOGUE

Dimanche 30 mai 2021 / Saou
En randonnée, il est coutumier de dire que le plus dur, c’est la montée. Cela fait maintenant tout juste une semaine que nous sommes redescendues. Chaque jour qui passe, je me dis que vraiment le plus dur, c’est la descente. Je ne parle pas des muscles des cuisses qui se tendent, ni des genoux qui saturent à l’absorption, ni de la cheville qui tire à l’endroit de l’ancienne entorse, ni des pierres qui roulent sous les pieds et m’entraînent dans la pente. Je parle de la nostalgie des hauteurs et du silence de l‘air, de l’horizon qui se rétrécit pas à pas, du corps qui prend la mesure de sa pesanteur, des bruits qui rappellent l’accélération du temps, celui de la civilisation.

Je connaissais déjà ces sensations. Mais dans mon corps ces jours-ci, l’empreinte de la vastitude m’étreint comme un appel. Continuer la lecture de « EPILOGUE »

TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 5 – La Chapelle-en-Vercors > Saint-Martin-en-Vercors

Samedi 22 mai 2021
Autour de la table du café de la Chapelle en Vercors nous sommes cinq. Aujourd’hui, notre trio s’enrichit des présences de Franck et Chiara, le danseur et l’anthropologue du projet Chemins à ciel ouvert. C’est une journée de passage de relais qui commence. Nous leur partageons les invitations que nous avons imaginées pour cette balade sensible. Ils nous livrent leurs résonances. Dans ma tête me reviennent les crins de la crinière de Bettina que nous avons tressés avec Océane, lors d’une pause sur le sentier de Marignac à Vassieux. Un brin passe par dessus l’autre. Ils se croisent, se recouvrent, se chevauchent, se prolongent, et, ensemble, forment une même tresse.

La longue file de marcheurs et marcheuses dessine une rivière au milieu des champs qui s’éloignent de la Chapelle. Le simple fait de marcher aux côtés des ânes est une fête. Comme le dit Roberto Juarroz, Aujourd’hui je n’ai rien fait. Mais beaucoup de choses se sont faites en moi. (…) Ne rien faire sauve parfois l’équilibre du monde en obtenant que quelque chose aussi pèse sur le plateau vide de la balance. Continuer la lecture de « TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 5 – La Chapelle-en-Vercors > Saint-Martin-en-Vercors »

TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 4 – Refuge de Crobache > La Chapelle en Vercors

Vendredi 21 mai
Cela ne fait que trois jours que nous sommes parties, et pourtant l’entrée dans la Chapelle en Vercors nous donne la sensation de revenir à la civilisation. Sur les plateaux le temps s’étire comme dans le fond des grottes. A contrario, la descente à travers la forêt m’a semblé si courte. Notre entrée dans la Chapelle ne passe pas inaperçue. Les ânes et les chevaux traversent un lotissement sous les regards éberlués des habitants, puis devant un collège alors que les jeunes sont en récréation. Au détour du chemin, nous apercevons l’école maternelle en bas du champ. On installe ânes et chevaux ici avant d’aller pic niquer en ville et boire notre premier café en terrasse de 2021. Cela a un petit goût de surréalisme. Continuer la lecture de « TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 4 – Refuge de Crobache > La Chapelle en Vercors »

TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 3 – Font d’Urle > Mémorial de la Résistance à Vassieux > Refuge de Crobache

Jeudi 20 mai 2021
Les mains posées sur les flancs de Julos, je repense à ce que Charlotte nous partageait il y a plusieurs mois. Dans sa voiture nous ramenant du plateau de Léoncel vers la vallée, le regard portant loin, caressant les montagnes bleues, on avait enregistré ses réflexions sur notre rapport au Temps, l’accélération du monde, son travail quotidien à ralentir, ce souhait de laisser la place à cet autre temps qui ne rentre pas dans le cadre de la montre : le Kairos.

Ce matin nous sommes attendues à 11h pour un rendez-vous officiel : le vernissage de l’exposition Traverse au Mémorial de la Résistance. Réveillées aux aurores après une courte nuit sur les tables et les bancs de la salle Hors-sac de Chaud Clapier, nous plions, rangeons, rassemblons, organisons, balayons. Tout est presque prêt. Et puis il y a cette phrase qui vient arrêter le temps : Julos est couché, il n’arrive pas à se relever. Continuer la lecture de « TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 3 – Font d’Urle > Mémorial de la Résistance à Vassieux > Refuge de Crobache »

TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 2 – Refuge de Vassieux > Font d’Urle

Mercredi 19 mai 2021 – Font d’Urle
Aujourd’hui, on s’est réveillé.e.s au son de la voix de Leïna qui disait :
« Tu touilles papa, tu touilles ! », de l’accordéon et de la mandoline.
On a marché sur les crêtes et l’horizon s’est déployé devant nous.
On a suivi le pas des ânes faisant rouler les pierres, enjambant les troncs d’arbres dans le sous bois.
On a gravi la But Saint Genis pour se baigner dans la vue à 360°, se griser d’horizon encore.
On a mangé sous une averse de pleige et ramené le soleil en chantant.
On a vu une forêt d’algues sous marines.
On a croisé la tombe de Sylvie sous la hêtraie sans feuille.
On a skié sur les névés.
On a essayé de ne pas écraser les renoncules des Pyrénées venues parsemer les plateaux du Vercors. Nos pensées étaient violettes et les jonquilles par milliers. Continuer la lecture de « TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 2 – Refuge de Vassieux > Font d’Urle »

TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 1 – Marignac-en-Diois > Refuge de Vassieux

Mardi 18 mai 2021 – 22h30 – Cabane de Vassieux
Le silence s’installe peu à peu entre les duvets, dans la chaleur de la cabane de Vassieux. Elle nous paraissait si petite à notre arrivée. Elle me semble maintenant tellement ajustée au cocon d’intimité que nous nous sommes offert. Au loin, la flamme dansante de la bougie éclaire la lecture de Juliette. On dirait un tableau de Georges de La Tour. Tout s’apaise après le tumulte de la journée.

Un jour, une vie avait dit la sage-femme, pour décrire les jours succédant à la naissance. Un jour, une vie. Oui. Ce jour avait cette densité de la vie auprès d’un nouveau né. Ce matin, nous les avons toutes célébrées autour de l’arbre aubépine, ces naissances. Les coeurs ont valsé au rythme de la mazurka d’Andréas, les voix des enfants avaient la profondeur de son violoncelle, les « s…ça » la puissance de la joie d’être ici ensemble.

Les mots de l’hymne de la transhumance se sont incarnés au fil du jour. Continuer la lecture de « TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 1 – Marignac-en-Diois > Refuge de Vassieux »

Mercredi 12 mai / J – 6 : En route vers la transhumance

Ce matin, les arbres se sont habités d’enfants. Postés sur leurs branches, ils pouvaient observer les préparatifs du départ. Ils étaient cinq dans le champ : deux juments, un âne, un homme et une femme. Quand Juliette a sorti les brosses, les enfants ont sauté dans le champ. De petits nuages de poussière se sont échappés des croupes et crinières. Ils chassaient les nuages qui obscurcissaient le ciel. Des volutes de lumière sont venues caresser les feuilles et les boucles de cheveux. Sur le dos de l’âne, les sacoches s’alourdissaient doucement, un peu à droite, un peu à gauche. Et les pas des enfants se faisaient légers pour suivre celui des chevaux. Ils se sont éloignés lentement, entre les roches généreuses de la forêt de Saou. Sur le chemin, le tronc de ce peuplier portant les années, se déployant dans toute sa splendeur. Il y a des arbres qui viennent à votre rencontre, vous prendre par le coeur, avec autant de force que le regard d’une jument. On s’est dit au revoir en entonnant le chant de la transhumance. A mardi à Marignac! Nous y serons toustes, sauf le vieux peuplier. Pendant qu’il continuera son long travail d’enracinement, nous ferons le plein d’histoires à venir raconter à l’ombre de sa ramure.

Mardi 11 mai / J – 7 : Les trésors de l’Arc en ciel

En ce mardi de printemps, depuis les fenêtres du Mémorial de la Résistance, on pouvait voir tomber la neige à gros flocons. Entre les arbres de Font d’Urle, un petit tapis blanc. Assez fin pour fondre sous le souffle de nos vœux qui appellent le soleil à accompagner la Transhumance.

Par les fenêtres de la classe de La Chapelle, ce sont des trombes d’eau qui se déversent, pendant qu’une ribambelle d’enfants sillonne entre les tables pour regarder les petits bouts de la forêt qu’ils ont colorée à l’encre bleue, jaune et verte. La forêt s’est faite carte postale. Leurs doigts appuient sur la petite bande encollée à l’arrière de la forêt : Et toi, comment tu es né.e ?

A Saint Martin en Vercors, la poésie s’est écrite au crayon blanc sur les vitrines. Hâte toi, Hâte toi de transmettre Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance. Nous dit René Char. Il nous invite en commune présence. Nous y serons le 22 mai 2021 à 18h, autour du tilleul de 500 ans d’âge, à côté de la plaque qui rappelle le 3 juillet 1944.

Sur les murs du Mémorial, mon visage plonge dans le noir profond de la grotte de Choranche, les lumières dessinent des arbres derrière les photos d’archives, Magda calcule la juste distance entre les cadres. Sur le Belvédère, me revient ce mois de décembre 2019, où nous regardions le Grand Veymont couvert de neige avec Déborah. Il l’est encore aujourd’hui, ainsi que toute la chaîne du Vercors. Sur la carte en relief, les lieux s’allument. Il y a un an et demi, ce n’était que des noms notés dans mon carnet. Aujourd’hui, derrière chaque nom il y a un visage, un paysage, un souvenir vécu. Le Vercors n’est plus un site emblématique qu’on lit dans les vieux livres d’Histoire, que l’on convoque en rime avec résistance. C’est un monde en marche.

18h, l’accrochage de l’exposition vient de se terminer. Un cri rompt le silence. C’est Hélène : Venez voir! Chacun.e apparaît depuis les différentes salles, se précipite, nous voilà toustes sur le petit pont de bois. Au loin, un arc en ciel. Dessiné comme sur une feuille d’enfant. Il porte toutes ses couleurs, bien visibles. Il s’élance dans toute sa largeur. Et là, en bas dans la vallée, on en voit la source. Elle se trouve au creux d’une forêt. C’est de là que sont sortis tous les trésors du Vercors avant de se disperser.

 

26 et 27 AVRIL 2021: Le temps du débourrage

La première chose que nous avons fait en arrivant à l’école de Sainte Croix en Quint, c’est visiter le pommier du 2 avril. Quelques bourgeons avaient débourré, il y avait même quelques feuilles vert tendre. Débourrer ça veut dire éclore. Et débuter le dressage d’un cheval. Celui de Juliette est débourré depuis longtemps, ses sabots ont déjà taquiné les sentiers abruptes du Vercors. Ils se préparent à la transhumance comme les ânes de Stéphane.

Débourrer c’est enlever la bourre, séparer les poils du cuir. Dans les cercles d’enfants de Sainte Croix et Vassieux, les enfants se sont mis à nu, ils ont ôté leurs peaux d’ours, dévoilant ce qui vibre sous leur peau en déclamant leur kasàlà. Et sous le regard des petits de la Chapelle en Vercors, nos cœurs étaient à vif, partageant les histoires, cueillant les pissenlits pour en faire des pinceaux, plongeant les feuilles de plantain dans l’encre bleue, imprimant les écorces-tampons. En partant, nos mains ressemblaient au tronc de l’eucalyptus arc en ciel.

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Habiter la terre en poètes

En ce premier avril, filles et garçons de l’école de Vassieux et leurs maître et maîtresse ont creusé la terre de leur jardin. Ils ont déterré une maternité, une écluse et quelques péniches, de beaux bébés nés par voie naturelle au temps où ils naissaient tous à la maison et où on ne se préoccupait ni de leur poids ni de leur taille ni de leur heure de naissance, des villes lointaines, la maison de Saint Doulchard, du sable de Syrie, des poèmes écrits à la plume. Après de savants mélanges, ils ont planté un pommier tchèque de 1 an offert par la pépinière Vauvy et Ecologie au quotidien. Nous l’avons bichonné de terre, d’eau et de chants avant de prendre la clé des champs.Dans le grand vent du plateau, baignés de soleil, les enfants ont façonné un Mandala en land art, avec la mousse et leurs corps, les écorces et leurs mains, les fleurs et leurs pieds rassemblés autour de la grande roue du temps. Continuer la lecture de « Habiter la terre en poètes »