TRANSHUMANCE ARBORER – JOUR 1 – Marignac-en-Diois > Refuge de Vassieux

Mardi 18 mai 2021 – 22h30 – Cabane de Vassieux
Le silence s’installe peu à peu entre les duvets, dans la chaleur de la cabane de Vassieux. Elle nous paraissait si petite à notre arrivée. Elle me semble maintenant tellement ajustée au cocon d’intimité que nous nous sommes offert. Au loin, la flamme dansante de la bougie éclaire la lecture de Juliette. On dirait un tableau de Georges de La Tour. Tout s’apaise après le tumulte de la journée.

Un jour, une vie avait dit la sage-femme, pour décrire les jours succédant à la naissance. Un jour, une vie. Oui. Ce jour avait cette densité de la vie auprès d’un nouveau né. Ce matin, nous les avons toutes célébrées autour de l’arbre aubépine, ces naissances. Les coeurs ont valsé au rythme de la mazurka d’Andréas, les voix des enfants avaient la profondeur de son violoncelle, les « s…ça » la puissance de la joie d’être ici ensemble.

Les mots de l’hymne de la transhumance se sont incarnés au fil du jour. Peu à peu, nous nous sommes imprégnés de l’élégance des juments et de la douceur des ânes. Sous nos pas les pierres concoctaient un concert improvisé, les alisiers blancs parsemaient le sentier de leurs bourgeons duveteux, Amandine racontait les cotylédons du hêtre et celui du tilleul qui s’ouvre comme deux mains applaudissant dans le vent, Adam et Léon tenaient la tête de la caravane, Océane tressait- gardait-suivait les chevaux comme elle les aime, Loa et Lena recueillaient auprès des promeneurs les vœux pour la forêt qu’en petites elfes des bois elles exauceraient, Grimone se laissait accompagner par Nolan, Rosa, Lou et Tilia enlaçaient les arbres en chantant, Livio et Margot affrontaient la pente, Alban et Christian racontaient l’histoire du loup, Ava et Bettina accueillaient ce petit peuple de marcheur.se.s, Julos et Ateba se frottaient pour mille calins.

La pluie est venue avec le goûter. Une musique cristalline sur nos capes et K-way pour bercer la rencontre entre les enfants de Vassieux et de Sainte Croix. A l’abri des grands pins, chacun.e a savouré le don de l’arbre. Les rires ont roulé avec les pommes de pin et les trésors récoltés du bout de l’oreille. Il y a eu la tempête, celle qui vous fait comprendre le mot refuge. Il y avait là du petit bois à brûler et une surprise, un trio de merveilles : Jane, Etienne et Leïna. Et leur guitare, leurs voix, l’accordéon et la mandoline.

Après tant d’intensité partagée, de l’horizon des montagnes bleues au couvert de la hêtraie, la cabane se faisait caisse de résonance de notre brouhaha intérieur, ses quatre murs s’emplissant de nos bruits, emportée dans le tourbillon de la vague émotionnelle. Il aura fallu les notes de guitare, les chants en espagnol, en italien, et quelques contes. Plonger dans l’imaginaire, voyager pour repousser les murs : Chili, Mongolie, Argentine, Le Caire, Jérusalem. Peu à peu, quelques un.e.s reprenaient la route vers le Diois. D’autres restaient ici. Des sacs et des sacs et des sacs envahissaient l’espace, arrachés à la pluie battante, acheminés par les ânes, les enfants et les adultes qui avaient préféré le tumulte des éléments à celui de l’agitation enfantine. Et là, comme un petit miracle, de bons repas chauds nous arrivaient, de quoi calmer toute la troupe par les douceurs gastronomiques.

A pas de loup, le temps de la nuit approchait. Nous nous sommes glissés dans l’heure des bougies, assis.e.s en cercle sur la plateforme. A partager nos récits d’aventure, les images de nos traversées s’allumaient, chacun.e révélait une parcelle de son trésor intérieur. En plongeant dans nos intimités, nous devenions plus proches et la cabane paraissait plus vaste. Tout juste bien pour accueillir notre petite équipée nocturne.

Tout le monde dort maintenant. Il n’y a que ma main qui écrit, le halo de lumière sur la page, les gouttes de pluie sur le toit, les ronflements à droite, les respirations douces des enfants à gauche, le pas des chevaux qui s’ébrouent par moment et mon coeur qui savoure ce cadeau d’être vivante.

Cette vie n’est qu’impermanence, transformant les espaces à l’aulne de nos temporalités intérieures, étirant le temps au rythme de nos espaces extérieurs. La musique est partout, telle une perle de rosée à cueillir sur le chemin, un baume pour le coeur.