Ce matin là, la terre était blanche sous nos pas et les traces de cerfs encore fraîches. Nos pensées virevoltaient avec les flocons. Et le chant de la transhumance s’incarnait à chaque pas. Une nouvelle page était à écrire, la neige nous invitait à nous le rappeler. Aujourd’hui est le premier jour du reste de ma vie. Au dessus du précipice, nous avons imaginé le pas des ânes. Les paroles partagées hier avec Stéphane revenaient par bribe. L’important, c’est l’aventure humaine. Sous la terre, on rencontre l’humilité face aux éléments, ou alors on sait qu’on risque la mort. Les ânes n’aiment pas trop le vide.
Le tronc des arbres se découpe dans la blancheur. Mes pieds s’enfoncent, se posent dans les traces de Magda qui ouvre le chemin. Déjà 40 cm de neige. Je n’arrive pas à chasser de mes pensées ces récits de réfugiés qui traversent les montagnes enneigées pour trouver refuge. Celui de cette femme enceinte qui a accouché sur la route, dans le froid manteau. Le chant de la rivière vient jusqu’à nous, la chaleur de son mouvement a fait fondre la neige. Les flocons se font de plus en plus denses. Nous n’arriveront pas au refuge de Vassieux. L’important, c’est l’aventure humaine. C’est l’humilité face aux éléments
Descendre, emmenées par la pente. Faire la course avec le soleil. Repasser devant l’oiseau qui lance de nouveau l’alerte. Au loin, les grands pins de la cabane des chasseurs. Sur le poêle, la neige fond dans la casserole. Nos corps mouillés se déchaussent, se réchauffent en chantant. Nos mains serrent le bol de soupe.
Avec la tombée de la nuit nous reprenons la route. Au bout de quelques pas nous éteignons nos frontales. La lune a trouvé un miroir parfait pour nous offrir sa plus douce lumière. Nos repères sont maintes fois chamboulés. Comme il est bon de se perdre. Un peu. Et de savoir lire une carte.
Dans la chaleur du chalet de Marignac nous sommes seules ce soir et la maison est habitée de nos rêves et nos rires, des photos de tous ces animaux du Vercors que l’on ne connaît pas, de tous ces noms de boyaux de grotte égrainés par Stéphane hier : galerie des micro-sillons, boyau des taupes précieuses, galerie des beaux-parents, les chats perchés, escalade de la conversation, la rivière d’or.
On ne fait pas un repérage de marche printanière en hiver. Non. Enfin pas un repérage extérieur. Qu’importe le temps, qu’importe la saison, c’est toujours le bon moment pour nos repérages intérieurs.