Vendredi 21 mai
Cela ne fait que trois jours que nous sommes parties, et pourtant l’entrée dans la Chapelle en Vercors nous donne la sensation de revenir à la civilisation. Sur les plateaux le temps s’étire comme dans le fond des grottes. A contrario, la descente à travers la forêt m’a semblé si courte. Notre entrée dans la Chapelle ne passe pas inaperçue. Les ânes et les chevaux traversent un lotissement sous les regards éberlués des habitants, puis devant un collège alors que les jeunes sont en récréation. Au détour du chemin, nous apercevons l’école maternelle en bas du champ. On installe ânes et chevaux ici avant d’aller pic niquer en ville et boire notre premier café en terrasse de 2021. Cela a un petit goût de surréalisme.
Au réveil de la sieste, les enfants de la classe de Claire nous attendaient avec leurs yeux écarquillés et un panier rempli des lettres reçues de leurs grands-parents. Claire nous demande s’ils pourront garder leurs cartes, car l’un d’eux a dit : « Moi je veux garder la lettre, parce que c’est la première lettre que papi et mami écrivent rien que pour moi. ».
Le pommier que les enfants ont planté est en fleurs. Nous nous asseyons à côté. Avec Magda, Déborah, Claire et Sylvie, nous leur lisons les lettres de leurs grands parents. Les récits de leurs naissances sont de toute beauté, nourris d’infimes détails, de noms de lieux, de sensations, de parfums, d’ambiances, de dates historiques. L’une des grand-mères est née le même jour que le jour de la mort du résistant qui a donné son nom à l’école. Avant de partir, Claire nous donne les petits pochons de graines que les enfants ont apporté pour nous.
Le soir, nous devions faire un radio-camping. Il est tombé à l’eau. A l’eau de pluie. Nous nous sommes réfugiées dans la Maison de l’Aventure. On ne pouvait pas rêver lieu plus adapté. Le studio mobile de Radio Royans Vercors nous y attendait. Pendant que le ciel déversait ses larmes, nous nous sommes glissées dans les invitations de Rachel. Dans mon casque les voix pleines de Magda et Déborah, la mienne, celles d’Aïala et Abigaëlle, et celle de Rachel qui distille ses questions avec délicatesse et parcimonie. Six femmes réunies autour d’une table. J’ai savouré les mots que chacune choisissait pour dire notre traversée. Celle qui s’est élancée mardi à Marignac, et celle qui a commencé à l’automne 2019. La pluie nous a offert cet espace de repli en intimité, une coupe pour recueillir les perles de rosée. Nous les avons bu jusqu’à étancher notre soif. Pour conclure l’émission, c’est Rachel qui a répondu à notre question : Peux-tu nous raconter la naissance du poulain de Barraquand que tu as accompagnée la semaine dernière ?
Avant de m’endormir, je regarde notre chambrée de lits superposés. Au-dessus Aïla. A droite, Juliette et Pauline. Hier, nous dormions dans l’immensité de la nuit à ciel ouvert. Je souris de ces jours qui se suivent et ne se ressemblent pas. Depuis hier, me revient souvent cette histoire Corse « Qui lo sa ? Chance malchance qui peut savoir, qui peut le dire ? ». Après chaque pluie, il y a toujours un arc-en-ciel qui vient déposer un trésor quelque part. J’éteins la lumière.